LeRomanais

Agir local, penser global. L’internet local à Romans-sur-Isère et ses environs (Drôme).

Théâtre : Quand Handke essaie de répondre à Beckett

leave a comment »


J’aime beaucoup l’oeuvre de Beckett. Plutôt ses romans que ses pièces d’ailleurs. Je n’avais pourtant pas lu cette Dernière bande, qui joue toute cette semaine au théâtre de la Ville de Valence, une courte pièce de théâtre où un homme perdu soliloque, dans la lignée des oeuvres du maître. Dans ce monologue, le vieux Krapp, écrivain raté et clown clochardisé, vagit, éructe et peste en réécoutant une vieille bande magnétique, sorte de journal où il témoignait du bonheur de son amour. Confronté trente ans plus tard au vide de son existence, il semble ne donner sens à sa vie qu’en se souvenant des beaux jours de son amour perdu, avec nostalgie et dérision, dans un monologue entre lui et son souvenir.

«  »J’ai dit encore que ça me semblait sans espoir et pas la peine de continuer. Et elle a fait oui sans ouvrir les yeux. (Pause) Je lui ai demandé de me regarder et après quelques instants – (pause) – et après quelques instants, elle l’a fait, mais les yeux comme des fentes à cause du soleil. Je me suis penché sur elle pour qu’ils soient dans l’ombre et ils se sont ouverts. (Pause) M’ont laissé entrer. (Pause) Nous dérivions parmi les roseaux et la barque s’est coincée. Comme elle se pliait avec un soupir devant la proue, je me suis coulé sur elle, mon visage dans son sein et ma main sur elle. Nous restions là couchés. Sans remuer. Mais sous nous, tout remuait, et nous remuait, doucement, du haut en bas, et d’un côté à l’autre. »

Force est de reconnaître que le théâtre de Beckett a vieillit. Ce personnage proche du mime, dans ses excès et éructations, seul en scène dans ses silences et ses excès, était tragique et provoquant au début des années 60. Il ne l’est plus. La mise en scène de Christophe Perton, dans cette première partie, essaye de jouer de ces figures imposées, mais semble contraint par l’oeuvre. Jean-Quentin Châtelain signe un Krapp très académique. Le théâtre de l’absurde semble assurément devenu un classique.

Après un joli jeu de machinerie qui transforme l’espace blanc sans fond, perdu dans la nuit, qui servait de bureau à Krapp, en son contraste : un frontispice de tombeau blanc éclatant, qui barre la scène (passant d’un espace sans fin à un espace contraint), nous sommes plongé dans une seconde partie, sensée être un écho à la première, une réponse, un dialogue en miroir de Peter Handke à Beckett, écrite récemment et intitulée Jusqu’à ce que le jour vous sépare. Pour cela, Handke fait parler d’entre les morts, sous forme de statue, la femme (Sophie Semin) qu’évoquait Krapp dans son souvenir. Et la femme, de se lancer dans une longue tirage d’un souffle, un long monologue en miroir inversé de celui de Krapp. Critiquant son jeu notamment, sans vraiment en proposer un autre – autre que l’immobilisme. L’écho, le contre-point de Handke est à mille lieues d’interroger Beckett, car il n’est pas certain que faire entrer une femme dans l’univers masculin de Beckett (où les rares femmes sont plutôt des mères, souvent mortes), soit pertinent. Pas sûr que cet hymne à l’amour, baigné d’ironie soit un écho qui fonctionne face à l’âpreté de l’oeuvre de Beckett. Pédant, pompeux, le monologue de la statue évoque un discours sur la vie et le théâtre, qui, bien que peuplé de références à l’oeuvre de Beckett, sonne assez creux. On a l’impression d’être pris dans un jeu de théâtre, un jeu littéraire et très intellectualisant dont on s’ennuie un peu.

« Ton jeu est joué, Mister Krapp, Monsieur Krapp. Joué sous un faux nom, dans une langue qui n’était pas la tienne. Mais, je l’admets, bien joué, avec tes aspects de vieux clown désillusionné. Enfin, pas tellement désillusionné. Jusqu’à la fin de ton jeu, jusqu’à l’extinction de la lumière, jusqu’à la tombée du rideau tu laissais émaner de ton jeu un reste d’une illustion. Un reste ? Un brin, une brise, une lueur, un rythme. A cause de ça, ton jeu était un bon jeu, ton désespoir pas seulement la routine d’un vieux clown, mais par moments, illuminé – comme je disais : rythmé. Vieux joueur rusé, Krapp, ou comment t’appeler : Krapp-de-mon-coeur ? Crapule-sans-corps ? »

Written by leromanais

5 novembre 2008 à 9 h 47 mi

Publié dans Culture

Laisser un commentaire